giovedì 2 settembre 2010

Don DeLillo : "La fiction aide à voir. Et à s'interroger"


LE MONDE LIVRES

Depuis la mort de Saul Bellow et celle de Norman Mailer, un "trio de vieux maîtres" domine le paysage littéraire américain : Philip Roth, Toni Morrison, Don DeLillo (1). Ce dernier n'est pas le plus vieux (il est né en 1936), mais il est certainement – ex aequo avec Roth – le plus sauvage. Peu d'interviews, peu d'apparitions publiques. Aux dires d'un critique anglais, il porterait même sur lui, parfois, un petit carton où l'on pourrait lire "I do not want to talk about this" ("Je ne veux pas parler de ça") qu'il brandirait, selon les besoins, pour décourager les importuns ou esquiver les questions gênantes.


Il y a donc quelque chose d'inespéré à être en face de lui, en plein mois d'août, dans les bureaux de son agent new-yorkais. D'inespéré mais aussi d'inattendu, voire d'incongru, quand la conversation s'engage sur... les rideaux de douche ! "Combien d'anneaux tournent dans le vide sur la tringle ?", demande DeLillo. "Souvenez-vous : Anthony Perkins s'avance, avec son cou d'échassier et son profil d'oiseau. La pointe du couteau pénètre dans le corps ruisselant de Janet Leigh. Elle s'agrippe au rideau de douche qui s'écroule avec elle. Ne restent alors que le couteau, le silence et... ces anneaux qui tournent sur eux-mêmes indéfiniment. Mais combien y en a-t-il ? Quatre, cinq, plus... ?"

Avec un plaisir évident, DeLillo se repasse la scène du crime dans Psychose, d'Alfred Hitchcock. Il a toujours été passionné par le cinéma. Dès les années 1960, on lit dans ses nouvelles l'influence de Godard et des réalisateurs européens. Son premier roman, Americana (Actes Sud, 1992), met en scène un jeune homme qui abandonne tout pour se consacrer à une oeuvre cinématographique d'une infinie complexité...

Or voilà que, récemment, l'écrivain est tombé en arrêt devant 24 Hour Psycho, une oeuvre vidéo de Douglas Gordon inspirée de Psychose. "C'était il y a quatre ans, au Musée d'Art moderne de New York, raconte-t-il. Je ne suis pas un inconditionnel de Psychose. J'ai même toujours eu du mal à prendre au sérieux la relation entre Norman Bates (Anthony Perkins) et sa mère. Mais cette vidéo m'a fait un tel effet que je suis retourné la voir trois ou quatre fois. Et je dois dire qu'elle a complètement changé ma perception du temps."

Dans l'oeuvre de Gordon, le film d'Hitchcock a été ralenti de manière à étirer sa projection sur 24 heures consécutives. Que voit-on ? "Le mouvement des yeux dans leurs orbites osseuses, un muscle sous la peau, le grain du tapis et... ces anneaux de rideau tournant dans le vide." Bref, une forme de "vie engourdie", faite de moments infinitésimaux et "impossibles à déceler à 24 images/seconde, ce qui est, je crois, la vitesse à laquelle notre cerveau traite les images".

DeLillo explique que, dans cette oeuvre, "moins il y avait à voir, plus on regardait intensément et plus on voyait". C'était d'ailleurs le but du jeu : "Voir ce qui est là, regarder enfin, et savoir qu'on regarde." A l'en croire, ce serait "fou ce à côté de quoi on passe dans des circonstances normales. Fou ce qui se produit en une seconde". Est-ce déstabilisant ? "Au contraire ! C'est comme si vous voyiez tout pour la première fois." Cette aventure s'est révélée si marquante que DeLillo a décidé d'en faire un livre. Un ouvrage mince (140 pages) qui contraste avec ses romans comme Libra (Stock, 1989) ou Outremonde (Actes Sud, 1999) et que l'on ne saurait trop recommander à ceux qui souhaitent s'arracher momentanément à l'accélération générale du monde.

Attention toutefois, le livre n'est pas "facile". Sa forme en déroutera même plus d'un. Disons qu'il s'agit d'un triptyque où, dans l'épilogue et le prologue, un homme qui n'a pas de nom raconte sa découverte de 24 Hour Psycho. Entre les deux, inscrit dans une temporalité plus longue encore - "celle des ères géologiques", de ce "temps énorme qui nous précède et nous survit " -, DeLillo insère un étrange récit, l'histoire d'un jeune vidéaste un peu déjanté, Finley, qui veut à tout prix réaliser un film sur Elster, vieux retraité du Pentagone et ancien conseiller de la Maison Blanche sur la guerre d'Irak. Les deux hommes se retrouvent dans un désert de l'Arizona où ils sont bientôt rejoints par Jessie, la fille d'Elster. Le trio parle, boit, s'observe. On comprend que le film ne se fera pas. Le tout prend un tour sombre sur lequel plane l'ombre de Beckett ainsi que mille questions dont DeLillo lui-même "n'a pas les réponses".

L'Irak a beau être là en filigrane, on est loin des grands livres prémonitoires (Mao II, Outremonde, L'Homme qui tombe...) où DeLillo prenait à bras-le-corps les problèmes contemporains du monde et de l'Amérique - ces romans "chauds" où il semblait avoir prévu le terrorisme, le 11-Septembre, l'anthrax... et qui ont fait dire à certains critiques qu'il savait "prévoir" les Etats-Unis comme personne. Cela le fait rire. "Je ne suis pas extralucide, dit-il. Un écrivain sent certaines choses avant les autres, peut-être. Dans Point Oméga, je montre justement que la fiction, l'art en général, aident à voir. Et à s'interroger : que perçoit-on du monde finalement ?" Finley, lui, dit qu'il voit des mots, seulement des mots.

Et ce Point Oméga du titre ? Un coup de chapeau au jésuite et paléontologue Pierre Teilhard de Chardin. "Je l'avais lu jeune, je l'ai relu pour ce livre. A ses yeux, le point Oméga marque l'ultime étape de l'évolution de l'homme. L'idée que notre conscience arrive à un point d'épuisement au-delà duquel ce qui suivra pourra être ou une crise ou quelque chose de sublime et d'inenvisageable."

Difficile de ne pas voir dans le personnage du prologue - comme d'ailleurs dans celui d'Elster, qui a exactement le même âge que l'auteur - un double de DeLillo lui-même. Difficile de ne pas ressentir la mélancolie inquiète qui sourd de cette réflexion sur le temps et la perte. Mais DeLillo n'en parle guère. Il préfère évoquer son enfance. Ses souvenirs de petit garçon italo-américain dans le Bronx. "Mes parents venaient des Abruzzes. Nous vivions à onze, trois générations, des oncles, des tantes..., entassés dans une minuscule maison du Bronx. Personne n'en souffrait, on n'avait connu que ça. Mais quand je suis venu à Manhattan, à 21 ans - c'était exceptionnel : dans une famille italienne de l'époque, on ne quittait pas le clan si l'on n'était pas marié -, ça a été quelque chose d'énorme. Un voyage aussi important que celui de mes parents qui arrivaient de leur pauvre village d'Italie."

Quarante ans d'écriture et quinze romans plus tard, il semble encore émerveillé d'être devenu ce "vieux maître" de la littérature américaine. "C'était si important, pour moi et mes parents. D'où le titre de mon premier roman, Americana. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus dur d'être un jeune écrivain. Je pense que ce livre ne serait plus publié. Je ne pense même pas qu'un éditeur en lirait 50 pages. Il était surécrit et nécessitait beaucoup de retravail. Mais les éditeurs de l'époque étaient plus tolérants, ils donnaient leur chance à des auteurs qu'ils jugeaient prometteurs. Aujourd'hui, ils sont pressés - c'est pour cela qu'il existe des cours d'écriture - et le marché s'est tellement rétréci..."


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Point Oméga, de Don DeLillo. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marianne Véron, Actes Sud, 140 p., 14,50 €.

(1) Ce trio est celui dont parle le magazine Time dans son numéro du 23 août sur le romancier Jonathan Franzen. En réalité, il pourrait être élargi à un quintette incluant notamment des écrivains comme Thomas Pynchon ou Cormac McCarthy, eux aussi nés dans les années 1930.



Florence Noiville

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