lunedì 9 agosto 2010

Carlos Fuentes et Octavio Paz : les dessous d’une affaire

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Il n’y a pas de place pour deux grands écrivains dans un seul et même pays dès lors qu’il est de dimension raisonnable. On le sait bien en France ; il fut un temps où l’on s’y posait la question : comment être Gide dans un pays où Proust est tout ? Il en est de même au Mexique avec Carlos Fuentes et Octavio Paz, les deux grandes ombres tutélaires qui dominent les Lettres de ce pays. Leur rivalité y a défrayé la chronique. A croire qu’ils ne s’embrassaient que pour mieux s’étouffer. Il y eut eu bien une « affaire Paz-Fuentes », mais plus complexe et donc plus intéressante que la classique et si codifiée « haine entre écrivains » (un genre littéraire en soi).

A ma droite, c’est le cas de le dire, Octavio Paz. Né en 1914. Grand caractère. Cohérent dans ses contradictions, pétri de paradoxes. Animé du sentiment tragique de la vie. Cinquième écrivain latino-américain à être couronné par le prix Nobel de la littérature (promotion 1990). Ne tolère guère la concurrence, non seulement dans son pays mais sur le continent latino-américain. Handicapé sur le plan international par une mauvaise voix et des difficultés à s’exprimer en anglais. A ma gauche, c’est le cas de le dire, Carlos Fuentes. Né en 1928. Bel homme, beau parleur. Excellent orateur en anglais également. Relit le Quichotte une fois par an. Hanté par le fantôme de Citizen Kane au point de s’en inspirer pour écrire La mort d’Artemio Cruz. Reconnaît l’influence, la rencontre, la coïncidence de Faulkner sur les écrivains latino-américains en ce que le sentiment tragique de la défaite leur parle au plus profond. Tient que si la littérature n’enrichit pas réalité, elle ne sert à rien. Convaincu qu’elle naît de la découverte d’une voix à laquelle l’écrivain tente de donner un corps de papier. Persuadé q’un roman jaillit de la prise de conscience que le monde est plus vaste que nous.

L’un et l’autre grands voyageurs dans la tradition latino-américaine des écrivains-diplomates. Les deux ont démissionné de leur poste d’ambassadeur, pas au même moment ni pour les mêmes raisons. Fuentes était le plus connu, Paz le plus respecté. Le premier dérivait vers la gauche, le second vers la droite. Insensiblement, Fuentes devenait, dans les universités américaines, le porte-parole latino-américain d’une critique radicale de la politique reaganienne, tandis que Paz devenait de plus en plus conservateur. La différence d’âge (quatorze ans), et l’ancienneté dans la carrière des Lettres, expliquent que l’aîné ait exercé une grande influence sur l’œuvre en formation du cadet. L’un et l’autre n’ayant pas été avares d’interviews (la collection de poche Arcades chez Gallimard les a recueillis en plusieurs volumes indispensables), on peut prendre la température de leur relation sur la durée. A une condition : ne jamais oublier de mentionner la date de leurs déclarations. Car le moment dit tout sur l’échelle de Richter de leur rivalité.

En 1967, Paz considérait l’érotisme de Fuentes comme un langage de signes corporels, puisque les corps sont des signes et que les signes nous interrogent. En 1988, il estimait que son recueil de poèmes en prose et de contes Aigle ou soleil ?, et plus précisément sa deuxième partie intitulée Sables mouvants, avait eu « une certaine influence » sur le premier livre de Fuentes. Quelques mois après, lorsqu’on demandait à celui-ci quels étaient les écrivains de sa génération dont il se sentait le plus proche, il citait spontanément Vargas Llosa, Garcia Marquez, Cabrera Infante, Cortazar et… Carpentier (né en 1904). En 1994, Fuentes invoquait la haute figure de Paz quand celui-ci déclarait que l’Amérique latine était le territoire même de l’utopie, eut-elle produit des résultats désastreux ; en 1996, il pouvait encore se permettre de citer Cuadrivio de Paz, entre le Saint-Genet de Sartre et le Melville de D.H. Lawrence, comme exemple de bonne réponse critique adressée par un écrivain à l’un de ses pairs ; cette année-là encore, Fuentes reconnaissait volontiers que dans les années 50, lorsque lui et ses amis prenaient publiquement parti en faveur d’une poésie mexicaine émancipée de sa réputation de subtilité, de finesse et de discrétion, et davantage ouverte à une vraie violence, ils s’abritaient derrière les vers de Paz dans son poème Les mots : « Attrapez-les par le cul, qu’elle hurlent les putains ! ». En 1997 enfin, Fuentes se disait l’héritier d’une tradition mexicaine, glorieuse cohorte composée de Reyes, Azuela et d’autres, en tête de laquelle il plaçait… Paz.

Au fond, heureusement qu’un était avant tout romancier et essayiste, et l’autre poète et essayiste : « Pas le même terrain ni le même registre : cette distinction a permis leur coexistence pacifique pendant des années » commente Alan Riding, l’homme du New York Times à Mexico de 1971 à 1984, qui fut proche de l’un et l’autre. On s’interroge alors sur ce qui a pu provoquer entre ces deux gloires des lettres mexicaines une rupture si profonde. Leur différend à propos des Indiens du Chiapas ? Insuffisant aux dires des protagonistes même, bien que certains aient tenté de lui donner la dimension fort improbable d’une controverse de Valladolid. « Juste une divergence d’opinion » minimisait Paz en mai 1994. Il refusait de voir dans ce mouvement une quelconque révolution ; plutôt une révolte isolée venue du plus profond de l’histoire nationale : « c’est la facture que nous présente le passé ». Tout en reconnaissant que les Indiens avaient été injustement oubliés, que les Mexicains devaient payer pour ce pêché d’indifférence, Paz envisageait leurs pétitions avec sympathie mais réprouvait la violence avec laquelle elles se manifestaient. Une bataille d’egos pour le contrôle du territoire de l’imaginaire national ? Il y a de cela mais c’est encore insuffisant. Même si Paz aurait rêvé d’écrire un grand roman et surtout du théâtre. Au lieu de quoi il fut un grand poète et une conscience. Quoi alors ?

Jusqu’en 1988, ça allait à peu près entre eux. « Ils étaient amis dans la mesure où ils n’étaient pas ennemis » fait observer Alan Riding. L’écrivain Jorge Volpi évoque même « un rapport fraternel » entre eux. Il y avait bien quelque chose de la fraternité lorsqu’à son retour au Mexique au mitan des années 50, très marqué par les paysages désertiques autour de San Luis, Paz publia le poème que cette désolation lui inspira dans le premier numéro de la Revista mexicana de literatura de Carlos Fuentes et Emmanuel Carvalho. Ce qui leur valut de se battre côte à côte contre la presse conservatrice accusant de poète d’avoir écrit un poème communiste. Mais un autre article dans une autre revue scella à jamais leur inimitié. Il révéla, radicalisa et cristallisa tout ce qui les opposait souterrainement depuis des années, tant personnellement qu’idéologiquement, pour ne rien dire de leur course au Nobel (l’un des deux pouvait l’avoir, pas les deux). Intitulée « La comedia mexicana de Carlos Fuentes », cette longue attaque au vitriol d’Enrique Krauze, d’une rare violence, fut publiée dans Vuelta (No 139, 27 juin 1988) ; or cette revue, dont l’auteur de l’article était le directeur-adjoint, était dirigée par Octavio Paz. Non seulement il la laissa passer mais il se défaussa en prétendant ne l’avoir pas lue auparavant. « Puis Paz assura qu’il ne partageait pas tous les points de vue de l’article mais qu’il en avait autorisé la publication par respect pour la liberté d’expression ; or, le milieu littéraire mexicain savait parfaitement que l’article avait circulé à la rédaction de Vuelta et que Paz n’était pas loin de sa composition » se souvient l’écrivain Jorge Volpi. Ce qui redoubla la colère et l’amertume de Fuentes, achevé peu après par la reprise de l’article en couverture de l’hebdomadaire américain New Republic sous le titre peu amène de « The Guerilla dandy », le caricaturant comme un écrivain plagiaire, aigri d’avoir raté le Nobel, plus proche de Hollywood que de Mexico.

Fuentes demanda à Paz la tête du coupable et ne l’obtint pas. Très affecté, il ne lui pardonna jamais ce qu’il considérait comme « une trahison ». Leur ami commun Alan Riding tenta bien de les réconcilier lorsque Paz était malade, mais Fuentes s’y refusa : « Disons que les conditions n’étaient pas réunies » commente le journaliste. L’absence de Carlos Fuentes aux obsèques d’Octavio Paz en 1998 fut remarquée. Juste de quoi rappeler, au cas où on l’aurait oublié, que, décidément, la vie littéraire éloigne de la littérature.

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