D'APRES LE MONDE
C'est basé sur des faits réels, comme on le dit au cinéma, et c'est écrit comme un polar. L'histoire de l'évasion d'une cinquantaine de prisonniers politiques de la prison de Santiago du Chili, le 29 janvier 1990, méritait sans doute d'être racontée. La journaliste Anne Proenza et l'animateur culturel Teo Saavedra, ancien réfugié chilien en France, l'ont écrite avec les ressources propres à la fiction, qui permet de faire parler les personnages et de recréer leurs pensées, en toute liberté.
La gageure était de maintenir le suspens, alors que l'issue, réussie, était connue d'emblée. Pour y parvenir, les auteurs alternent la minutieuse description des préparatifs de la fugue, pendant presque quatre ans, et l'enquête menée juste après par le juge Juan Amaya.
Ainsi, la vie en prison et le jeu de cache-cache auquel se livrent détenus et gardiens servent de cadre à l'invention constante qu'ils mettent en oeuvre pour creuser un tunnel, évacuer les gravats et franchir une série d'obstacles, ajournant à plusieurs reprises l'évasion.
Parallèlement, le magistrat reconstruit peu à peu l'opération, pour tenter d'élucider les éventuelles complicités.
Ce récit croisé, où le talent des prisonniers le dispute à la lucidité du juge, prend toute sa dimension grâce aux personnalités des uns et des autres et surtout à la période très particulière de cette évasion. Les détenus appartiennent au Front patriotique Manuel-Rodriguez (FPMR), une organisation clandestine formée par le Parti communiste chilien, tardivement converti à la lutte armée.
Exaltation des résistants
A l'époque, la dictature du général Augusto Pinochet affronte une large coalition d'opposition, la Concertation démocratique, fondée sur l'alliance entre les démocrates-chrétiens et les socialistes. Après avoir perdu un référendum, le dictateur se voit obligé d'accepter les premières élections libres depuis le coup d'Etat de 1973.
La transition démocratique est lente et fragile, mais indéniable. Cependant, le FPMR continue sur sa lancée. L'attentat contre le général Pinochet (1986), son action la plus retentissante, échoue et relance une répression sanglante, dont les communistes font les frais.
A la prison de Santiago, les détenus poursuivent leur plan de fugue, en dépit des débats politiques, qui prennent parfois des allures de règlements de comptes. Les incertitudes ne se limitent donc pas aux problèmes techniques du tunnel, résolus avec des outils de fortune, dissimulés y compris aux prisonniers appartenant à d'autres partis politiques.
De son côté, le juge Juan Amaya, personnalité attachante, tente de retrouver l'indépendance et le courage longtemps perdus par une magistrature entièrement soumise aux militaires. Ce récit enlevé gagne ainsi en épaisseur et déploie les dilemmes complexes d'une période troublée.
L'exaltation des résistants, consacrés corps et âmes à leur projet audacieux, n'empêche pas les auteurs d'évoquer les discussions qui divisent les militants. Leur évasion apparaît comme un dernier pied de nez à la dictature, mais aussi comme un acte gratuit et presque désespéré.
D'une certaine façon, l'Histoire avec un grand H se faisait ailleurs, loin des opérations spectaculaires des combattants de l'ombre. Comme ailleurs en Amérique du Sud, le changement est passé par la lente accumulation de forces d'une opposition armée uniquement des valeurs de liberté et dignité humaine, qui a finalement eu raison d'une dictature féroce.
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LES ÉVADÉS DE SANTIAGO d'Anne Proenza et Teo Saavedra. Seuil, 308 p., 18,50 euros.
Paulo A. Paranagua
C'est basé sur des faits réels, comme on le dit au cinéma, et c'est écrit comme un polar. L'histoire de l'évasion d'une cinquantaine de prisonniers politiques de la prison de Santiago du Chili, le 29 janvier 1990, méritait sans doute d'être racontée. La journaliste Anne Proenza et l'animateur culturel Teo Saavedra, ancien réfugié chilien en France, l'ont écrite avec les ressources propres à la fiction, qui permet de faire parler les personnages et de recréer leurs pensées, en toute liberté.
La gageure était de maintenir le suspens, alors que l'issue, réussie, était connue d'emblée. Pour y parvenir, les auteurs alternent la minutieuse description des préparatifs de la fugue, pendant presque quatre ans, et l'enquête menée juste après par le juge Juan Amaya.
Ainsi, la vie en prison et le jeu de cache-cache auquel se livrent détenus et gardiens servent de cadre à l'invention constante qu'ils mettent en oeuvre pour creuser un tunnel, évacuer les gravats et franchir une série d'obstacles, ajournant à plusieurs reprises l'évasion.
Parallèlement, le magistrat reconstruit peu à peu l'opération, pour tenter d'élucider les éventuelles complicités.
Ce récit croisé, où le talent des prisonniers le dispute à la lucidité du juge, prend toute sa dimension grâce aux personnalités des uns et des autres et surtout à la période très particulière de cette évasion. Les détenus appartiennent au Front patriotique Manuel-Rodriguez (FPMR), une organisation clandestine formée par le Parti communiste chilien, tardivement converti à la lutte armée.
Exaltation des résistants
A l'époque, la dictature du général Augusto Pinochet affronte une large coalition d'opposition, la Concertation démocratique, fondée sur l'alliance entre les démocrates-chrétiens et les socialistes. Après avoir perdu un référendum, le dictateur se voit obligé d'accepter les premières élections libres depuis le coup d'Etat de 1973.
La transition démocratique est lente et fragile, mais indéniable. Cependant, le FPMR continue sur sa lancée. L'attentat contre le général Pinochet (1986), son action la plus retentissante, échoue et relance une répression sanglante, dont les communistes font les frais.
A la prison de Santiago, les détenus poursuivent leur plan de fugue, en dépit des débats politiques, qui prennent parfois des allures de règlements de comptes. Les incertitudes ne se limitent donc pas aux problèmes techniques du tunnel, résolus avec des outils de fortune, dissimulés y compris aux prisonniers appartenant à d'autres partis politiques.
De son côté, le juge Juan Amaya, personnalité attachante, tente de retrouver l'indépendance et le courage longtemps perdus par une magistrature entièrement soumise aux militaires. Ce récit enlevé gagne ainsi en épaisseur et déploie les dilemmes complexes d'une période troublée.
L'exaltation des résistants, consacrés corps et âmes à leur projet audacieux, n'empêche pas les auteurs d'évoquer les discussions qui divisent les militants. Leur évasion apparaît comme un dernier pied de nez à la dictature, mais aussi comme un acte gratuit et presque désespéré.
D'une certaine façon, l'Histoire avec un grand H se faisait ailleurs, loin des opérations spectaculaires des combattants de l'ombre. Comme ailleurs en Amérique du Sud, le changement est passé par la lente accumulation de forces d'une opposition armée uniquement des valeurs de liberté et dignité humaine, qui a finalement eu raison d'une dictature féroce.
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LES ÉVADÉS DE SANTIAGO d'Anne Proenza et Teo Saavedra. Seuil, 308 p., 18,50 euros.
Paulo A. Paranagua
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