D'APRES LE MONDE
"La Fin du courage", de Cynthia Fleury : réinventer le courage
On parle beaucoup du découragement - des élites, de l'opinion, des gens de gauche et des gens de droite, des Européens... Mais du courage, il est bien rarement question. C'est pourquoi l'essai de la philosophe Cynthia Fleury mérite une vive attention. La première singularité de sa réflexion est de partir du registre individuel pour élargir la perspective au domaine collectif et politique.
Au départ, un moment de déprime personnel comme en traversent tant de nos contemporains : "J'ai perdu le courage comme on perd ses lunettes", confesse Cynthia Fleury. Soudainement, sans en comprendre la raison, elle s'est retrouvée incapable de vouloir quoi que ce soit.
De ce passage à vide, la philosophe est parvenue à faire un sujet de méditation. Chercheur à l'Institut des sciences de la communication du CNRS, enseignante à Sciences Po et professeur associé à l'American University of Paris, spécialiste des "pathologies de la démocratie" - auxquelles elle a consacré une étude remarquée (Fayard, 2005), elle commence par se demander : comment donc le courage s'apprend-il ? Comment se reprend-il ? Par quel miracle, ou quel mystère, pourrait-on vouloir ?
De proche en proche, cette antique notion, depuis longtemps plus ou moins désertée, se trouve donc revisitée. Rebelle à une définition univoque, le courage se laisse approcher par plusieurs biais : vivre sa peur, savoir commencer, accepter l'énigme de cette surrection solitaire qui fait qu'on décide d'agir ainsi, sans souci de récompense ni même, au fond, de réussite. Car la gloire du courage n'est pas entamée par l'échec de l'entreprise.
Dans le courage semble s'offrir une sortie du temps, "comme s'il existait un passage secret entre la vie et l'éternité". Telle est la leçon que tire la philosophe de sa lecture de Jankélévitch. Car bon nombre d'auteurs, classiques ou modernes, sont convoqués à mesure, de Montaigne à Michel Foucault, de Victor Hugo à Axel Honneth et sa "société du mépris", sans oublier un hommage final à la pensée d'Amartya Sen et à sa conception de la démocratie.
L'autre face de cette méditation est en effet politique : entre individu et société, la question du courage tisse une multitude de passages.
Nous vivons, note Cynthia Fleury, dans "des sociétés mafieuses et démocratiques où le courage n'est plus enseigné". Comment réinventer le sens du courage politique ? En quoi consiste-t-il au juste ? Questions d'autant plus cruciales qu'il s'agit à la fois d'éviter cette "catastrophe de la vertu" qui se nomme la Terreur et de restituer sa présence au peuple, aujourd'hui porté disparu. "Sans le courage, le peuple reste sans lieu."
Horizon ouvert
Sans morale, pas de courage, et sans courage plus de véritable démocratie : telle est, au plus bref, la réponse suggérée, à partir notamment d'une relecture, inattendue et intéressante, d'un beau texte de Victor Hugo.
La "fin" du courage, titre de ce parcours, n'est donc pas à entendre seulement comme extinction, mais aussi comme but, horizon toujours ouvert. Sans doute, sur certains points, aimerait-on plus de précisions, d'arguments détaillés, de références approfondies. Des développements à venir devraient les fournir. Car cet essai n'est évidemment pas destiné à faire le tour complet de la question du découragement individuel et collectif et des manières d'y remédier. Son grand mérite est de la poser.
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LA FIN DU COURAGE de Cynthia Fleury. Fayard, 206 p., 14 euros.
"La Fin du courage", de Cynthia Fleury : réinventer le courage
On parle beaucoup du découragement - des élites, de l'opinion, des gens de gauche et des gens de droite, des Européens... Mais du courage, il est bien rarement question. C'est pourquoi l'essai de la philosophe Cynthia Fleury mérite une vive attention. La première singularité de sa réflexion est de partir du registre individuel pour élargir la perspective au domaine collectif et politique.
Au départ, un moment de déprime personnel comme en traversent tant de nos contemporains : "J'ai perdu le courage comme on perd ses lunettes", confesse Cynthia Fleury. Soudainement, sans en comprendre la raison, elle s'est retrouvée incapable de vouloir quoi que ce soit.
De ce passage à vide, la philosophe est parvenue à faire un sujet de méditation. Chercheur à l'Institut des sciences de la communication du CNRS, enseignante à Sciences Po et professeur associé à l'American University of Paris, spécialiste des "pathologies de la démocratie" - auxquelles elle a consacré une étude remarquée (Fayard, 2005), elle commence par se demander : comment donc le courage s'apprend-il ? Comment se reprend-il ? Par quel miracle, ou quel mystère, pourrait-on vouloir ?
De proche en proche, cette antique notion, depuis longtemps plus ou moins désertée, se trouve donc revisitée. Rebelle à une définition univoque, le courage se laisse approcher par plusieurs biais : vivre sa peur, savoir commencer, accepter l'énigme de cette surrection solitaire qui fait qu'on décide d'agir ainsi, sans souci de récompense ni même, au fond, de réussite. Car la gloire du courage n'est pas entamée par l'échec de l'entreprise.
Dans le courage semble s'offrir une sortie du temps, "comme s'il existait un passage secret entre la vie et l'éternité". Telle est la leçon que tire la philosophe de sa lecture de Jankélévitch. Car bon nombre d'auteurs, classiques ou modernes, sont convoqués à mesure, de Montaigne à Michel Foucault, de Victor Hugo à Axel Honneth et sa "société du mépris", sans oublier un hommage final à la pensée d'Amartya Sen et à sa conception de la démocratie.
L'autre face de cette méditation est en effet politique : entre individu et société, la question du courage tisse une multitude de passages.
Nous vivons, note Cynthia Fleury, dans "des sociétés mafieuses et démocratiques où le courage n'est plus enseigné". Comment réinventer le sens du courage politique ? En quoi consiste-t-il au juste ? Questions d'autant plus cruciales qu'il s'agit à la fois d'éviter cette "catastrophe de la vertu" qui se nomme la Terreur et de restituer sa présence au peuple, aujourd'hui porté disparu. "Sans le courage, le peuple reste sans lieu."
Horizon ouvert
Sans morale, pas de courage, et sans courage plus de véritable démocratie : telle est, au plus bref, la réponse suggérée, à partir notamment d'une relecture, inattendue et intéressante, d'un beau texte de Victor Hugo.
La "fin" du courage, titre de ce parcours, n'est donc pas à entendre seulement comme extinction, mais aussi comme but, horizon toujours ouvert. Sans doute, sur certains points, aimerait-on plus de précisions, d'arguments détaillés, de références approfondies. Des développements à venir devraient les fournir. Car cet essai n'est évidemment pas destiné à faire le tour complet de la question du découragement individuel et collectif et des manières d'y remédier. Son grand mérite est de la poser.
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LA FIN DU COURAGE de Cynthia Fleury. Fayard, 206 p., 14 euros.
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