LE MONDE DES LIVRES
"Egobody - La fabrique de l'homme nouveau", de Robert Redeker.
Longtemps, l'âme fut une évidence. Quoi qu'on ait mis sous ce nom - les définitions étaient multiples, certaines âmes étaient matérielles -, son existence ne faisait aucun doute. Son salut - entendu lui aussi de diverses manières, matérialistes incluses - était le souci primordial de l'existence humaine. Robert Redeker constate qu'il s'agit, désormais, d'une affaire ancienne. A présent ne règne que le corps. Et il se trouve, à son tour, radicalement métamorphosé : réduit à une enveloppe de peau, il ne se distingue plus du moi de l'individu.
L'intérêt de cette dissection philosophique d'Egobody - le nom que donne Robert Redeker à ce post-humain dont le corps et l'ego se confondent - est de souligner l'ampleur et la profondeur des mutations en cours. Il ne s'agirait pas simplement d'effets de surface, mais bien d'une rupture sans précédent dans la longue histoire de ce qu'on appelait, naguère, "homme". Les transformations affecteraient non seulement la chair elle-même, devenue industrielle par le biais d'une alimentation quotidienne nouvelle, mais aussi le rapport à soi, au monde, aux autres.
Dépourvu d'âme, ce nouvel humain serait aussi dépourvu de détresse, de cosmos, privé de figure du mal et de toute représentation du diabolique. Détaché du moindre ancrage dans un terroir, il survivrait perpétuellement connecté, en étant toujours, si l'on ose dire, à la fois prothéisé et protéiné. Limité à un salut de type zoologique, il n'entretiendrait plus que des rapports lointains avec l'homme des époques antérieures... Voilà des affirmations discutables, dans la mesure où Robert Redeker présente souvent comme achevés, et irréversiblement triomphants, des processus qui semblent être plutôt des tendances. Même s'il s'agit de mouvements de fond, on peut penser que leur issue demeure encore incertaine.
L'avantage de ce parti pris philosophique est de souligner l'urgence de faire retour à une interrogation sur la définition même de l'homme. Aux yeux de Kant, "qu'est-ce que l'homme ?" était encore la question ultime de la philosophie, celle où venaient aboutir toutes les autres. Depuis que Michel Foucault a conclu Les Mots et les Choses (1966) sur "la mort de l'homme", cette antique question a souvent semblé sans objet. Ce nouvel essai de Robert Redeker rappelle que le débat n'est pas clos. Plus ancienne et plus résistante que Foucault ne l'avait pensé, la question de l'homme est à réexaminer à nouveaux frais. Vaste programme.
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Egobody. La Fabrique de l'homme nouveau, de Robert Redeker, Fayard, 204 p., 16 €.
Roger-Pol Droit
"Egobody - La fabrique de l'homme nouveau", de Robert Redeker.
Longtemps, l'âme fut une évidence. Quoi qu'on ait mis sous ce nom - les définitions étaient multiples, certaines âmes étaient matérielles -, son existence ne faisait aucun doute. Son salut - entendu lui aussi de diverses manières, matérialistes incluses - était le souci primordial de l'existence humaine. Robert Redeker constate qu'il s'agit, désormais, d'une affaire ancienne. A présent ne règne que le corps. Et il se trouve, à son tour, radicalement métamorphosé : réduit à une enveloppe de peau, il ne se distingue plus du moi de l'individu.
L'intérêt de cette dissection philosophique d'Egobody - le nom que donne Robert Redeker à ce post-humain dont le corps et l'ego se confondent - est de souligner l'ampleur et la profondeur des mutations en cours. Il ne s'agirait pas simplement d'effets de surface, mais bien d'une rupture sans précédent dans la longue histoire de ce qu'on appelait, naguère, "homme". Les transformations affecteraient non seulement la chair elle-même, devenue industrielle par le biais d'une alimentation quotidienne nouvelle, mais aussi le rapport à soi, au monde, aux autres.
Dépourvu d'âme, ce nouvel humain serait aussi dépourvu de détresse, de cosmos, privé de figure du mal et de toute représentation du diabolique. Détaché du moindre ancrage dans un terroir, il survivrait perpétuellement connecté, en étant toujours, si l'on ose dire, à la fois prothéisé et protéiné. Limité à un salut de type zoologique, il n'entretiendrait plus que des rapports lointains avec l'homme des époques antérieures... Voilà des affirmations discutables, dans la mesure où Robert Redeker présente souvent comme achevés, et irréversiblement triomphants, des processus qui semblent être plutôt des tendances. Même s'il s'agit de mouvements de fond, on peut penser que leur issue demeure encore incertaine.
L'avantage de ce parti pris philosophique est de souligner l'urgence de faire retour à une interrogation sur la définition même de l'homme. Aux yeux de Kant, "qu'est-ce que l'homme ?" était encore la question ultime de la philosophie, celle où venaient aboutir toutes les autres. Depuis que Michel Foucault a conclu Les Mots et les Choses (1966) sur "la mort de l'homme", cette antique question a souvent semblé sans objet. Ce nouvel essai de Robert Redeker rappelle que le débat n'est pas clos. Plus ancienne et plus résistante que Foucault ne l'avait pensé, la question de l'homme est à réexaminer à nouveaux frais. Vaste programme.
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Egobody. La Fabrique de l'homme nouveau, de Robert Redeker, Fayard, 204 p., 16 €.
Roger-Pol Droit
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