venerdì 20 maggio 2011

La gloire de Pagnol



D'APRES LE FIGARO

Par Dominique Guiou, Mohammed Aissaoui, Philippe Claudel

Alors que tant d'auteurs du XXe siècle sont au purgatoire, l'écrivain et cinéaste séduit toujours. Une biographie, un film et une vente de manuscrits en témoignent.

• INTERVIEW - Jacqueline Pagnol: «Avec lui, rien ne semblait impossible»

• PORTRAIT - Conteur hors pair, infatigable inventeur

• Des mots chargés de lumière

• Il n'a jamais connu le purgatoire



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Jacqueline Pagnol: «Avec lui, rien ne semblait impossible»
Celle qui la première incarna Manon continue de faire vivre le souvenir de son mari.

Depuis la mort de Marcel Pagnol, le 18 avril 1974, elle veille scrupuleusement sur la mémoire de celui qui l'épousa en 1945 et dont elle fut l'inoubliable interprète -et la vedette de plusieurs de ses films, notamment Manon des sources.

LE FIGARO. - En épousant Marcel Pagnol, vous avez changé radicalement de vie…

Jacqueline PAGNOL. - Oui, j'avais vingt-trois ans quand j'ai commencé à vivre avec Marcel, et je ne l'ai plus quitté. J'ai choisi cette vie, près de lui, et je ne l'ai jamais regretté. Je n'ai plus fait autre chose qu'être à ses côtés, dans la vie quotidienne, bien sûr, mais aussi au cinéma, puisque je n'ai pratiquement plus tourné que pour lui… J'ai essayé, au début de notre mariage, de faire du cinéma sans Marcel. Mais je m'embêtais énormément. J'ai compris très vite que je n'avais pas envie de m'éloigner de lui. Il faut dire que la vie avec Marcel était merveilleuse.

Quel mari était-il?

Il avait un charme fou, il était irrésistible, constamment drôle. Avec lui, rien ne semblait impossible. Les obstacles, les difficultés semblaient s'éloigner comme par magie. Il avait le don d'aplanir la route devant lui. J'étais très sensible aussi à son côté Pic de la Mirandole. Il savait tout, avait réponse à tout. Mon fils et moi lui posions tous les jours des questions sur toutes sortes de sujets, et il répondait simplement. Tout semblait clair, facile…

Pendant les tournages, comment se comportait-il avec vous?

Il me laissait une entière liberté. Marcel n'était pas un cinéaste autoritaire. Je ne bénéficiais pas d'un régime de faveur. Il faisait confiance à ses acteurs. Peut-être un peu trop. Je ne le trouvais pas assez sévère avec moi. Je pensais que j'aurais pu être bien meilleure en étant davantage dirigée. Il n'avait pas l'exigence d'un Clouzot, par exemple, qui était impitoyable sur les tournages. Peut-être étais-je un peu maso, mais par moments j'aurais aimé retrouver l'atmosphère de mes années d'apprentissage du métier. J'avais un professeur de théâtre qui était terrible, qui insultait ses élèves, mais pour essayer d'en tirer le meilleur. Marcel, en revanche, n'intervenait pas. Son sens critique, il le réservait à ses propres travaux. Il lui arrivait assez souvent de me dire: «Tu vois, Jacotte, j'ai jeté ce que j'ai écrit hier. Ça ne valait rien.»


Comment se passaient les journées aux côtés de Pagnol?

Quand il ne tournait pas, les journées étaient très ritualisées. Il se levait très tôt et travaillait jusqu'à onze heures ou midi. Ensuite, nous déjeunions. Puis il y avait la coupure de la sieste, la sacro-sainte sieste. Pour rien au monde, il n'y aurait renoncé. Le jour même de son élection à l'Académie française, au moment où les Immortels ont rendu leur verdict, il dormait, comme si cela avait été un jour comme un autre. Quand l'Académie a appelé, c'est moi qui ai pris le téléphone, et je suis allée le réveiller pour lui annoncer son élection!

Après la sieste, vers trois heures, Marcel passait à l'atelier. Il bricolait, mettait au point des inventions. Il travaillait le bois -il adorait la menuiserie- ou faisait un peu de mécanique. Il lui arrivait aussi de fabriquer des jouets pour ses petits-enfants. Dès qu'il en avait la possibilité, Marcel aimait à se retrouver en pleine nature. C'était un homme très physique. Il avait besoin d'espace, de grand air, de soleil. Parmi tous ses dons, il avait aussi celui de sourcier.

Il s'est découvert sur le tard une passion pour les mathématiques et la physique…

Jusqu'à la veille de sa mort, alors qu'il était physiquement très affaibli, il a travaillé sur le théorème de Fermat. Le corps lâchait, mais l'esprit était toujours aussi vif. Il entretenait des correspondances suivies avec de grands mathématiciens.

Marcel Pagnol revoyait-il ses films avec vous?

Nous avons eu la télévision dès 1954. Il adorait ça! Nous regardions de nombreux programmes, il pensait que la télévision était un magnifique outil pour la culture du grand public. Quand ses films étaient programmés, nous étions devant le petit écran, bien sûr. C'est ainsi que quelques semaines avant sa mort, nous avons revu La Femme du boulanger. Marcel était alors très faible, en observation à l'Hôpital américain. Soudain, il me dit: «Mon Dieu que c'est mauvais…» Voyant mon étonnement, il esquisse un sourire, comme pour me dire de ne pas prendre au pied de la lettre ses propos. Quelques minutes plus tard, il soupire à nouveau: «Ce passage, il est encore plus mauvais que tout le reste… Et tu sais qui l'a tourné, Jacotte? C'est Jean Renoir. Il appréciait mes films, et il était venu me voir pendant le tournage. Moi, je l'admirais et, ce jour-là, il a dirigé le film à ma place.»



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Conteur hors pair, infatigable inventeur
Le parcours sans faute d'un touche-à-tout de génie.

C'est à soixante ans passés que Marcel Pagnol est devenu écrivain. En 1957, quand il commence la rédaction de ses souvenirs d'enfance, l'auteur n'a plus rien à prouver. On pourrait même croire que sa carrière est derrière lui. Ses personnages à l'accent marseillais ont fait connaître au monde entier une Provence à la fois mythique et réelle. Marius, Fanny, César, Panisse, Escartefigue… autant de figures qui ont quitté le folklore local pour faire partie de la famille universelle. Leurs répliques sont dans toutes les têtes: «Tu me fends le cœur», «Mourir, ça m'est égal, c'est quitter la vie qui me fait de la peine.» Pagnol, à l'Académie depuis plus de dix ans, a connu la gloire, les honneurs, l'argent. Et le bonheur. Il coule des jours heureux auprès de sa femme, Jacqueline, interprète lumineuse de Manon, et de son fils Frédéric. Comment pourrait-il imaginer que ces pages, destinées à l'origine au magazine féminin Elle, vont faire de lui l'un des plus grands écrivains de l'enfance, de ses jeux, de ses illusions et de son innocence?

Et pourtant, avec La Gloire de mon père, Le Château de ma mère et Le Temps des secrets, qui se réduisent somme toute à quelques étés passés dans un cabanon perdu entre Marseille et Aubagne, en compagnie de ses parents, de son frère, de son oncle et de sa tante, Marcel Pagnol va ensoleiller à jamais les lettres françaises. Son secret? Il tient en trois mots: simplicité, clarté, émotion. «Moi, disait-il, je n'ai jamais écrit que sur les lieux communs. De quoi parlent mes pièces et mes films? Du pain, de l'eau, de la mère, de l'enfant naturel, de choses toujours très simples… Ce qui est simple est émouvant, et trouve toujours le chemin du cœur.»

Néoréaliste avant l'heure
Pagnol saura mettre au jour comme personne la délicatesse des petites gens. De banales histoires de clochers, de maris trompés et de filles-mères sur fond de cigales et de lavande assureront la gloire à cet Aubagnais, fils d'un modeste directeur d'école communale. Mais c'est curieusement avec un personnage complexe, inquiétant, pour lequel son créateur n'éprouve aucune tendresse, que Pagnol obtint, à trente-trois ans, son premier succès public. Topaze, qui raconte la métamorphose d'un homme qui était la candeur et la probité mêmes en personnage cynique et corrompu, est loin, en effet, des âmes naïves qui peupleront ses pièces et ses films à venir.

Pagnol fut aussi, on le sait moins, un inventeur infatigable. Inventeur de nouvelles formes artistiques en étant toujours à la pointe des progrès techniques. Il fut l'un des premiers à faire du cinéma parlant, puis à utiliser la couleur. Il tourna nombre de ses films en décors naturels, avec une prise de son directe. Il fut néoréaliste bien avant les Italiens. Son ami Rossellini lui avoua: «Si je n'avais pas vu La Fille du puisatier, je n'aurais jamais tourné Rome ville ouverte.» Bricoleur génial, Pagnol mit au point dans les années trente une voiture de son invention, la Topazette, basée sur le principe du chiffre 3: 3 places, 3 portes, 3 roues, 3 litres aux cent. Enfin, il se découvrit sur le tard une vraie passion pour les mathématiques. Il affirmait à Jacqueline: «Tu verras, un jour ma gloire viendra du théorème de Fermat plutôt que de mon œuvre littéraire.» Pour une fois, il se trompait.



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Des mots chargés de lumière
Philippe Claudel, l'auteur des Âmes grises nous dit pourquoi il aime tant les livres et l'univers de Pagnol.

Parfois, en lisant un livre, on sent soudain que notre cœur s'emballe, qu'il bat plus fort et que notre poitrine s'étreint au point que nous nous demandons, pendant quelques secondes, si l'émotion qui nous envahit, et que les mots ont fait naître, n'est pas en train de nous retirer de la vie, de la nôtre en tout cas, pour nous amener vers un lieu d'incandescence que nous n'aurions même pas soupçonné, et que nous n'aurions jamais pu atteindre sans eux.

Les grands auteurs sont ceux-là justement qui parviennent, grâce à leur langue, à déchirer le rideau des apparences et des fausses séductions pour nous dévoiler la profondeur de nos misères, de nos beautés et de notre fragilité. Pour cette raison, j'ai toujours placé Pagnol en compagnie des plus grands, ainsi que dans la lignée de conteurs et de poètes de l'Antiquité pour qui le monde était une célébration et un temple frémissant de présences.

La beauté de sa langue tient à sa voix simple. Pagnol jamais ne s'encombre d'effets. Il dit les choses, comme un artisan parvenu au sommet de sa pratique après de nombreuses années d'exercice sait choisir le bon outil ou éliminer les ornements superflus. La voix simple de Pagnol est une voix profonde qui, à la façon d'un mistral chassant les quelques derniers nuages encore présents, établit un ciel pur et lumineux, qui devient un miroir dans lequel nous pouvons nous reconnaître. Les mots sont chez lui de purs cailloux ramassés dans le lit d'une claire rivière. Ils sont aussi chargés de lumière et de parfums. Lire Pagnol, c'est respirer, toucher, goûter, c'est ap­précier l'om­bre d'un puits, la fraîcheur procurée au plein midi par un muret de pierres sèches, la caresse d'un soleil de novembre sur les collines.

Ensorcelante beauté
Il y a chez Pagnol des phrases, des pages, que je connais par cœur, et j'emploie cette expression par cœur dans un sens presque littéral car il me semble que ce n'est pas ma mémoire qui les a retenues, pas plus que mon intelligence, mais bel et bien l'organe de sang et de vie dont on a fait le lieu métaphorique de nos sentiments.

Oui, c'est le cœur qui retient l'ensorcelante beauté de l'incipit de La Gloire de mon père, «Je suis né dans la ville d'Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres, au temps des derniers chevriers». Et c'est encore le cœur qui garde comme un trésor rare et douloureux les lignes évoquant la mort de la mère, celle du petit frère et de l'ami d'enfance, le cher Lili, dans Le Château de ma mère . Je tiens l'avant-dernier chapitre de ce récit comme une des plus belles pages de la littérature française. Tout est là, en quelques lignes, de la beauté de nos existences, de leurs incohérences, de nos amours et de nos souffrances. Et cela est dit avec des mots de tous les jours, comme nous en avons tous dans nos poches, sans effet, sans esbroufe. À chaque fois, les larmes me viennent aux yeux, et ce sont autant des larmes de peine que de reconnaissance. Je pleure certes sur les fantômes évoqués qui me renvoient aux miens, mais je pleure aussi comme on ose murmurer un merci à celui qui a su si bien dire.



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Il n'a jamais connu de purgatoire
Ses pièces sont adaptées dans le monde entier. Ses films repassent à la télévision tous les deux ans. Et ses livres de souvenirs ont dépassé le cap des vingt millions d'exemplaires vendus.

Pour Bernard de Fallois, qui a été l'ami de Marcel Pagnol et qui reste l'éditeur de toute l'œuvre de l'auteur du Temps des secrets, il n'y a jamais eu de purgatoire pour l'écrivain provençal. Ses œuvres traversent le temps. Le fondateur des Éditions de Fallois explique ce phénomène par deux raisons. La première tient au fait que, malgré les innombrables adaptations, ses films et ses pièces continuent de passer et de repasser à la télévision. Un exemple: la trilogie (Marius, Fanny, César) est programmée en moyenne tous les deux ans; c'est sans doute la plus rediffusée, beaucoup plus que Guitry. Grâce à la télévision, Pagnol est devenu familier des Français de toutes les générations.

La seconde explication est plus psychologique. Selon l'éditeur, de tous les livres consacrés à l'enfance, ceux de Pagnol sont sans doute les plus joyeux et les plus souriants, sans être mièvres. Les enfants comme les adultes adorent. Résultat: les trois récits de souvenirs (La Gloire de mon père, Le Château de ma mère, Le Temps des secrets), conseillés par l'Éducation nationale, ont connu un succès considérable depuis leur publication en 1960 en édition de poche. Ils ont dépassé le cap des vingt millions d'exemplaires et on estime que de ses autres livres, notamment Topaze, on a vendu entre huit et dix millions d'exemplaires. Aujourd'hui, ses textes valent de l'or: les manuscrits de travail de Topaze et de Jazz, mis en vente mercredi par Sotheby's, ont été préemptés par la Bibliothèque nationale de France pour 28.000 €.

En fait, Pagnol, par la grâce de son écriture -théâtrale, cinématographie, romanesque- a créé un cercle vertueux. Ses livres nourrissent ses pièces qui nourrissent ses films qui nourrissent ses livres… D'ailleurs, il s'est adapté lui-même et a réalisé trois versions de Topaze, dont une avec Fernandel. Dès ses débuts, le potentiel de succès de ses histoires est repéré à Hollywood. Ainsi la Paramount est-elle la première à produire Marius et Topaze: c'était en 1931 et 1932. Topaze est son œuvre la plus adaptée dans le monde. Il a été traduit dans toutes les langues occidentales mais aussi en arabe et en chinois.

Un auteur total
La dernière adaptation cinématographique en date est sortie dans les salles le mois dernier. La Fille du puisatier a été réalisé et joué par Daniel Auteuil, césar du meilleur acteur avec Jean de Florette. Ce film est un succès. «Nous en sommes à un million de spectateurs, et ça devrait continuer», affirme Jean-François Robin, directeur de la photo du long-métrage et auteur du Journal d'un tournage: La fille du puisatier. Et d'ajouter que le film marche beaucoup plus en province qu'en région parisienne. «Je crois que Pagnol touche la ­France profonde», dit-il. Il livre son explication du phénomène: «Pagnol, c'est un auteur total, avec un style et un langage qui rendent les histoires universelles.» En effet, comment expliquer qu'une histoire qui se déroule dans un bistrot typique de Marseille avec quatre hommes jouant à la manille ait pu intéresser la terre entière? Daniel Auteuil l'a bien compris: il prépare le deuxième volet de la trilogie.

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