D'APRES LE FIGARO
Le procès fait à Freud
Par Paul-François Paoli
Michel Onfray passe en revue la vie et l'œuvre de Sigmund Freud. Le philosophe plaide avec brio, mais son livre souffre des excès du polémiste.
Cinq ans après la polémique qui avait éclaté au moment de la parution du Livre noir de la psychanalyse, signé par un collectif de psychiatres, de philosophes et de spécialistes des thérapies comportementalistes cognitives (TCC), qui accusaient Freud d'être un imposteur ayant créé une mythologie ascientifique incapable du moindre résultat clinique, le philosophe Michel Onfray passe à son tour à l'attaque. Il publie une charge tonitruante qui se veut tout à la fois une sorte de psychanalyse de Freud, un bilan de sa discipline et un jugement sur les supposées implications politiques de sa pensée.
Onfray a à peu près tout lu des 6 000 pages de l'œuvre de Sigmund Freud, notamment sa correspondance avec son ami et confident, le médecin allemand Wilhelm Fliess, parue dans son intégralité depuis peu. Dans Le Crépuscule d'une idole, il dresse un portrait au vitriol du théoricien de la psychanalyse. Celui-ci en ressort méconnaissable. L'homme, nous dit Onfray, était cupide et cynique, il ne songeait qu'à devenir célèbre et, après avoir testé diverses techniques pour soigner les maladies nerveuses, dont celle de l'hypnose, il créa la psychanalyse. Celle-ci n'obtint guère de résultat, ce qui n'empêcha pas Freud de «réussir son coup», grâce à son génie de la propagande et de l'intimidation, puisque, selon Onfray, cette théorie est devenue une religion vénérée comme telle. La charge est lourde et le trait épais. Mais le livre fourmille de faits et d'assertions précises. Il pose des questions comme celle-ci :
- Onfray affirme que les hagiographes freudiens ont dissimulé certains aspects de sa vie, notamment le fait que Freud avait prétendu avoir soigné un ami de jeunesse dépendant à la morphine, Fleischl-Marxow, en lui conseillant des injections à la cocaïne, lesquelles auraient achevé de le tuer. Or le livre de Freud Sur la cocaïne, qui évoque cet épisode, aurait disparu de la bibliographie du penseur. Pourquoi ?
- La correspondance avec Fliess, théoricien de la bisexualité qui accusa Freud de plagiat, révélerait le caractère utilitariste de celui qui, à Vienne, prenait 25 dollars de l'heure la séance, soit 450 euros aujourd'hui, et éprouvait du mépris pour des patients qu'il aurait qualifiés un jour de «racaille» juste bonne à faire progresser la connaissance des névroses en faisant, au passage, vivre les psychanalystes. Qu'est-ce à dire ?
- Les premiers patients de Freud, notamment le fameux «homme aux loups», Serge Pankejeff, sont restés inguérissables. Pourquoi Freud a-t-il prétendu le contraire ?
Arrivé à ce stade, le lecteur peut à bon droit se demander pourquoi une gloire mondiale a été dévolue à un tel personnage ? Pourquoi des esprits tels que Thomas Mann ou Stefan Zweig, qui prononça son éloge funèbre, l'admiraient tant ? C'est ici qu'Onfray développe sa théorie et que son propos s'affaiblit. Selon lui, Freud, qui aurait eu une passion incestueuse pour sa mère, une aversion pour son père ainsi qu'une prédilection pour sa dernière fille, Anna, aurait habilement généralisé sa névrose pour en faire un paradigme universel à travers le fameux «complexe d'Œdipe».
Un «idéologue» de la contre-révolution
Le problème du livre d'Onfray, c'est qu'il démontre moins qu'il n'assène. Son argument est plus rebattu qu'il n'en a l'air. Freud en pervers qui verrait de l'inceste partout est une assez vieille antienne. Onfray a certes raison d'insister sur le fait que la théorie de l'Œdipe, comme d'ailleurs l'idée d'inconscient, relèvent de l'intuition, non de la science. Ces notions sont-elles pour autant inutiles ou inopérantes ?
Enfin, dans la dernière partie de son livre, Onfray montre le bout du nez et trahit ce qui le dérange, au fond, chez Freud. Avec sa vision noire d'un genre humain travaillé par la haine et la rivalité, Freud n'était pas un progressiste mais un conservateur. De là à en faire un homophobe, un misogyne ou un raciste, il n'y a qu'un pas…
Onfray l'accuse même d'être un «idéologue» de la contre-révolution, avec le chancelier autrichien Dolfuss et Benito Mussolini en héros présumés ! Idéologue, Freud ? Peut-être, à ses heures, comme tout un chacun.
Pourquoi Le Crépuscule d'une idole, passionnant sur le plan de l'enquête biographique, se révèle-t-il frappé du sceau du parti pris et de la véhémence quand il s'agit d'analyser l'héritage du freudisme ?
Le procès fait à Freud
Par Paul-François Paoli
Michel Onfray passe en revue la vie et l'œuvre de Sigmund Freud. Le philosophe plaide avec brio, mais son livre souffre des excès du polémiste.
Cinq ans après la polémique qui avait éclaté au moment de la parution du Livre noir de la psychanalyse, signé par un collectif de psychiatres, de philosophes et de spécialistes des thérapies comportementalistes cognitives (TCC), qui accusaient Freud d'être un imposteur ayant créé une mythologie ascientifique incapable du moindre résultat clinique, le philosophe Michel Onfray passe à son tour à l'attaque. Il publie une charge tonitruante qui se veut tout à la fois une sorte de psychanalyse de Freud, un bilan de sa discipline et un jugement sur les supposées implications politiques de sa pensée.
Onfray a à peu près tout lu des 6 000 pages de l'œuvre de Sigmund Freud, notamment sa correspondance avec son ami et confident, le médecin allemand Wilhelm Fliess, parue dans son intégralité depuis peu. Dans Le Crépuscule d'une idole, il dresse un portrait au vitriol du théoricien de la psychanalyse. Celui-ci en ressort méconnaissable. L'homme, nous dit Onfray, était cupide et cynique, il ne songeait qu'à devenir célèbre et, après avoir testé diverses techniques pour soigner les maladies nerveuses, dont celle de l'hypnose, il créa la psychanalyse. Celle-ci n'obtint guère de résultat, ce qui n'empêcha pas Freud de «réussir son coup», grâce à son génie de la propagande et de l'intimidation, puisque, selon Onfray, cette théorie est devenue une religion vénérée comme telle. La charge est lourde et le trait épais. Mais le livre fourmille de faits et d'assertions précises. Il pose des questions comme celle-ci :
- Onfray affirme que les hagiographes freudiens ont dissimulé certains aspects de sa vie, notamment le fait que Freud avait prétendu avoir soigné un ami de jeunesse dépendant à la morphine, Fleischl-Marxow, en lui conseillant des injections à la cocaïne, lesquelles auraient achevé de le tuer. Or le livre de Freud Sur la cocaïne, qui évoque cet épisode, aurait disparu de la bibliographie du penseur. Pourquoi ?
- La correspondance avec Fliess, théoricien de la bisexualité qui accusa Freud de plagiat, révélerait le caractère utilitariste de celui qui, à Vienne, prenait 25 dollars de l'heure la séance, soit 450 euros aujourd'hui, et éprouvait du mépris pour des patients qu'il aurait qualifiés un jour de «racaille» juste bonne à faire progresser la connaissance des névroses en faisant, au passage, vivre les psychanalystes. Qu'est-ce à dire ?
- Les premiers patients de Freud, notamment le fameux «homme aux loups», Serge Pankejeff, sont restés inguérissables. Pourquoi Freud a-t-il prétendu le contraire ?
Arrivé à ce stade, le lecteur peut à bon droit se demander pourquoi une gloire mondiale a été dévolue à un tel personnage ? Pourquoi des esprits tels que Thomas Mann ou Stefan Zweig, qui prononça son éloge funèbre, l'admiraient tant ? C'est ici qu'Onfray développe sa théorie et que son propos s'affaiblit. Selon lui, Freud, qui aurait eu une passion incestueuse pour sa mère, une aversion pour son père ainsi qu'une prédilection pour sa dernière fille, Anna, aurait habilement généralisé sa névrose pour en faire un paradigme universel à travers le fameux «complexe d'Œdipe».
Un «idéologue» de la contre-révolution
Le problème du livre d'Onfray, c'est qu'il démontre moins qu'il n'assène. Son argument est plus rebattu qu'il n'en a l'air. Freud en pervers qui verrait de l'inceste partout est une assez vieille antienne. Onfray a certes raison d'insister sur le fait que la théorie de l'Œdipe, comme d'ailleurs l'idée d'inconscient, relèvent de l'intuition, non de la science. Ces notions sont-elles pour autant inutiles ou inopérantes ?
Enfin, dans la dernière partie de son livre, Onfray montre le bout du nez et trahit ce qui le dérange, au fond, chez Freud. Avec sa vision noire d'un genre humain travaillé par la haine et la rivalité, Freud n'était pas un progressiste mais un conservateur. De là à en faire un homophobe, un misogyne ou un raciste, il n'y a qu'un pas…
Onfray l'accuse même d'être un «idéologue» de la contre-révolution, avec le chancelier autrichien Dolfuss et Benito Mussolini en héros présumés ! Idéologue, Freud ? Peut-être, à ses heures, comme tout un chacun.
Pourquoi Le Crépuscule d'une idole, passionnant sur le plan de l'enquête biographique, se révèle-t-il frappé du sceau du parti pris et de la véhémence quand il s'agit d'analyser l'héritage du freudisme ?
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