giovedì 15 aprile 2010

MANUSCRIPTS EN LIGNE

D'APRES LE FIGARO
Un patrimoine au fil de la plume

Par Claire Bommelaer et Béatrice De Rochebouet

À Paris, le Musée des lettres et manuscrits rouvre ses portes avec une exposition consacrée à Marcel Proust.

Le Musée des lettres et manuscrits, vitrine de la société d'achat et de revente de manuscrits Aristophil, a rouvert ses portes, mercredi, après avoir fait peau neuve. Jusqu'au 29 août, l'espace sera dédié à un fonds consacré à Marcel Proust. Cent soixante documents, lettres, photos et dédicaces, qui permettent de glaner des détails de la vie mondaine de l'écrivain, des formules inédites, ou des suppliques adressées à sa mère. Gérard Lhéritier, patron d'Aristophil et collectionneur de manuscrits depuis trente ans, promet d'exposer d'autres raretés. Quelque 1 000 lettres, manuscrits, autographes, dessins et éditions originales seront ainsi présentés tour à tour, le papier ne supportant pas les longues expositions.



Einstein et Montgolfier


Dans son fonds, le musée possède ou gère en indivision les correspondances des peintres Manet, Ingres, Monet, Gauguin ou Toulouse-Lautrec, les partitions de Mozart, Chopin, Debussy ou Wagner, les manuscrits des deux Manifestes du surréalisme d'André Breton ou celui de Cellulairement de Verlaine, des lettres autographes de Voltaire, Molière ou Baudelaire.

Récemment, Aristophil a enrichi sa collection en réussissant un coup de maître:l'achat à un collectionneur américain de l'original de la déclaration écrite par Louis XVI à la veille de sa fuite à Varennes, en 1791. Considéré comme le testament politique de Louis XVI, ce manuscrit était sorti de France par l'intermédiaire d'un très grand libraire et demeurait introuvable.

Une autre page de l'Histoire sera exposée:le message annonçant la capitulation nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale, signé par Eisenhower le 7 mai 1945 et adressé aux chefs d'état-major des forces alliées. Côté science, on pourra voir les schémas et des calculs sur la théorie de la relativité d'Albert Einstein ou un manuscrit de Joseph de Montgolfier, daté de 1784. «Nous tournons dans le monde entier pour dénicher des documents signés ou produits par des grands noms, explique Gérard Lhéritier. Je cherche par exemple des lettres de Ronsard ou de Jeanne d'Arc. Heureusement, l'écrit à plusieurs siècles et, en dépit des préemptions faites par les Archives nationales et la Bibliothèque de France, on trouve encore beaucoup de choses.» Quitte à mettre beaucoup d'argent sur la table, comme il a pu le faire notamment sur des manuscrits littéraires.

Son musée, situé en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés, est une structure associative. Il ne bénéficie pas du label Musée de France, qui implique notamment une inaliénabilité des collections. On s'attend donc à revoir certaines pièces sur le marché. Pas forcément les plus exceptionnelles, ce qui entamerait la renommée de ce musée très grand public, destiné aux amateurs, aux publics scolaires, voire aux chercheurs. Une salle leur sera d'ailleurs réservée afin qu'ils puissent y travailler.

Un œil, de l'argent et du savoir

La crise n'a pas affecté le marché haut de gamme du manuscrit. Devant la raréfaction de l'offre, les prix continuent de grimper, grâce à une clientèle solide, passionnée, éclairée et le plus souvent discrète. Gros acheteur dans les ventes publiques ces dix dernières années, Gérard Lhéritier a été un des principaux acteurs de cette ascension, avant de s'éclipser du marché. Ne devient pas collectionneur qui veut. C'est un monde difficile où l'on doit se faire conseiller:il ne faut pas seulement un œil et de l'argent, mais aussi du savoir. «La connaissance littéraire s'atténue. Les pièces phares concentrent donc toute l'attention», remarque Antoine Coron, directeur de la réserve des livres rares de la BNF.

Longtemps parent pauvre de la bibliophilie qui a porté au pinacle les éditions, et encore plus celles originales, le manuscrit attire aujourd'hui par son côté unique et sa provenance pure : celle de l'auteur lui-même. « Vouloir un manuscrit, c'est être au plus près de l'écrivain. C'est une démarche très personnelle, car cela ne se voit pas comme un livre dans une bibliothèque. Le manuscrit est ce qu'il y a de plus vivant dans l'écrit », explique l'expert de Sotheby's Paris, Frédérique Parent.

Le marché du manuscrit a toujours été pointu et le restera. «Mais aujourd'hui, il s'est resserré sur les grands textes, les grands auteurs ou les grands historiens, observe Jean-Claude Vrain, un des libraires les plus actifs de Paris. Il y a des écrivains hors cote, comme Baudelaire, Proust, Céline, Genet, Ionesco, qui vaudront toujours très cher. Alors que d'autres, comme Morand, Mauriac, Gide, Cocteau, vont stagner car l'offre est beaucoup plus large.» Les enchères le prouvent:1,82 million d'euros pour le manuscrit de Voyage au bout de la nuit, de Céline, préempté, chez Piasa en 2001, par la Bibliothèque nationale.

Dispersions fleuves

Plus récemment, en 2009, 300 000 euros pour le manuscrit autographe du chapitre central de Terre des hommes, de Saint-Exupéry, chez Sotheby's. Très attendue, le 5 mai, la lettre de Turgot à Louis XVI exposant son plan de redressement financier de la France (estimé 20 000 à 25 000 euros chez Piasa-Chassaing-Marambat).

On ne reverra plus de sitôt des dispersions fleuves comme celles de Daniel Guérin ou de Pierre Bérès dans les années 1990, qui ont fait exploser les prix. Aujourd'hui, il arrive même que les amateurs rectifient les folies. Lors de la vente du fonds Aupick Ancelle (Narcisse Ancel était le notaire de Baudelaire), en décembre 2009, chez Gros & Delettrez, Les Fleurs du mal de Baudelaire s'étaient envolées à 620 000 euros au marteau. Mais l'acheteur ne s'est jamais manifesté et le manuscrit n'a finalement trouvé preneur qu'à 200 000 euros.

Restent les coups d'éclat. Il y a un mois, la BNF achetait des manuscrits de Casanova au prix astronomique de 7 millions d'euros. Mais l'institution a dû compter sur un mécène qui, contrairement aux usages, a voulu rester anonyme. Selon plusieurs sources, il s'agirait d'un arrangement financier. Ce que la BNF ne confirme pas. « Qui serait choqué par un tel prix pour un maître impressionniste», s'insurge Antoine Coron. Gérard Lhéritier affirme avoir été sollicité par un intermédiaire, l'année dernière, pour acheter ces mêmes manuscrits. À 5 millions d'euros, il aurait refusé…

Musée des lettres et manuscrits, 222, bd Saint-Germain, 75007 Paris. Cat. Proust, Éditions des Équateurs, 28 €.

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