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"Les Millionnaires de la chance", de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot : les très nouveaux riches
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot continuent imperturbablement à creuser leur sillon sur la distinction sociale et la sociologie des classes dominantes, parfaitement illustrées par leur dernier ouvrage sur les très nouveaux riches : les gagnants du Loto. "Catastrophe miraculeuse", la soudaine fortune se doit d'être apprivoisée, et les deux sociologues racontent avec gaieté et intelligence les affres et les joies des gagnants : la richesse est un apprentissage. L'écriture est alerte, l'analyse est fine : un livre des Pinçon, c'est toujours un petit Bourdieu sans peine.
Les auteurs dissèquent la centaine de gagnants qui, chaque année, empochent plus de 1 million d'euros. Quinze millions de Français jouent régulièrement, "dans une société fondée sur la prévisibilité maximale, les jeux de hasard constituent une sorte d'antidote." Les Pinçon ont d'ailleurs été frappés par l'attitude "magico-religieuse" des gagnants, sans doute pour surmonter une angoisse.
Ils sont évidemment peu nombreux à toucher le jackpot. Il y a une chance sur 19 millions de jouer la grille gagnante du Loto, et une sur 76 millions à Euro Millions. Seul l'Etat gagne à coup sûr et encaisse 33,8 % des mises du Loto.
Mais gagner n'est pas tout. "Les gagnants expérimentent que l'ampleur des inégalités sociales ne renvoie pas seulement à la richesse matérielle, notent les sociologues, le sentiment d'extériorité face aux mondes de l'art fait sentir que la vraie richesse est difficilement accessible ; elle suppose un temps dont les gagnants n'ont jamais disposé." L'héritier, né riche et comme le gagnant par un heureux coup du sort, n'a pas ce souci : il a bénéficié, comme une langue maternelle, d'une éducation qui l'a rendu apte à hériter. Au point que "les apprentissages se muent en qualités innées, les chances sociales de l'héritier se transforment en mérites personnels".
Or il faut plusieurs générations pour que la fortune se transforme en une seconde nature. "La soudaineté de la fortune met à nu le pouvoir de l'argent, que le travail symbolique de la vieille richesse tente d'oblitérer au profit de valeurs culturelles et morales."
Le nouveau millionnaire, lui, est pris de court, "il ne peut faire l'économie d'un travail de reconstruction de son identité et de négociation de son changement de statut", dans un désarroi révélateur de la puissance des apprentissages sociaux.
Le premier refuge est le silence : en continuant à vivre comme si de rien n'était, le gagnant évite d'avoir à changer lui-même. Mais le silence pèse, et "une richesse invisible est-elle encore la richesse ?" La Française des jeux a mis en place des groupes de parole pour collectiviser une expérience difficile à assumer seul. C'est ce même plaisir de l'entre soi que celui des cercles de la haute société, qui permet d'être riche ouvertement.
C'est que les problèmes sont nombreux, en dehors même des placements financiers. La soudaine fortune exige une définition précise des hiérarchies affectives : à qui faire un cadeau ? Et, pour les jeunes gagnants, le rapport avec les parents se complique, tant pèse l'ordre généalogique, quand le don est traditionnellement lié à la filiation.
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LES MILLIONNAIRES DE LA CHANCE de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. Payot, 260 p., 18,50 €.
Franck Johannès
"Les Millionnaires de la chance", de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot : les très nouveaux riches
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot continuent imperturbablement à creuser leur sillon sur la distinction sociale et la sociologie des classes dominantes, parfaitement illustrées par leur dernier ouvrage sur les très nouveaux riches : les gagnants du Loto. "Catastrophe miraculeuse", la soudaine fortune se doit d'être apprivoisée, et les deux sociologues racontent avec gaieté et intelligence les affres et les joies des gagnants : la richesse est un apprentissage. L'écriture est alerte, l'analyse est fine : un livre des Pinçon, c'est toujours un petit Bourdieu sans peine.
Les auteurs dissèquent la centaine de gagnants qui, chaque année, empochent plus de 1 million d'euros. Quinze millions de Français jouent régulièrement, "dans une société fondée sur la prévisibilité maximale, les jeux de hasard constituent une sorte d'antidote." Les Pinçon ont d'ailleurs été frappés par l'attitude "magico-religieuse" des gagnants, sans doute pour surmonter une angoisse.
Ils sont évidemment peu nombreux à toucher le jackpot. Il y a une chance sur 19 millions de jouer la grille gagnante du Loto, et une sur 76 millions à Euro Millions. Seul l'Etat gagne à coup sûr et encaisse 33,8 % des mises du Loto.
Mais gagner n'est pas tout. "Les gagnants expérimentent que l'ampleur des inégalités sociales ne renvoie pas seulement à la richesse matérielle, notent les sociologues, le sentiment d'extériorité face aux mondes de l'art fait sentir que la vraie richesse est difficilement accessible ; elle suppose un temps dont les gagnants n'ont jamais disposé." L'héritier, né riche et comme le gagnant par un heureux coup du sort, n'a pas ce souci : il a bénéficié, comme une langue maternelle, d'une éducation qui l'a rendu apte à hériter. Au point que "les apprentissages se muent en qualités innées, les chances sociales de l'héritier se transforment en mérites personnels".
Or il faut plusieurs générations pour que la fortune se transforme en une seconde nature. "La soudaineté de la fortune met à nu le pouvoir de l'argent, que le travail symbolique de la vieille richesse tente d'oblitérer au profit de valeurs culturelles et morales."
Le nouveau millionnaire, lui, est pris de court, "il ne peut faire l'économie d'un travail de reconstruction de son identité et de négociation de son changement de statut", dans un désarroi révélateur de la puissance des apprentissages sociaux.
Le premier refuge est le silence : en continuant à vivre comme si de rien n'était, le gagnant évite d'avoir à changer lui-même. Mais le silence pèse, et "une richesse invisible est-elle encore la richesse ?" La Française des jeux a mis en place des groupes de parole pour collectiviser une expérience difficile à assumer seul. C'est ce même plaisir de l'entre soi que celui des cercles de la haute société, qui permet d'être riche ouvertement.
C'est que les problèmes sont nombreux, en dehors même des placements financiers. La soudaine fortune exige une définition précise des hiérarchies affectives : à qui faire un cadeau ? Et, pour les jeunes gagnants, le rapport avec les parents se complique, tant pèse l'ordre généalogique, quand le don est traditionnellement lié à la filiation.
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LES MILLIONNAIRES DE LA CHANCE de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. Payot, 260 p., 18,50 €.
Franck Johannès
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