D'APRES RUE89
On a déjà évoqué le talent de la romancière américaine d'origine chinoise Li Yiyun à propos d'un film adapté d'une de ses nouvelles (« Un millier d'années de bonnes prières »). Nous avons pu la rencontrer à Paris à l'occasion de la publication de son roman « Un beau jour de printemps ».
De Pékin à San Francisco, de l'immunologie à la littérature
Née à Pékin, Li Yiyun a 38 ans. Après des études de mathématiques et d'anglais, elle entre à l'université pour étudier l'immunologie. Etudes qu'elle poursuivra aux Etats-Unis à l'université de l'Iowa ; le hasard fait bien les choses car cette université est aussi très connue pour ses cours de création littéraire auxquels elle finit par s'inscrire. Elle collectionne les prix pour un recueil de nouvelles écrites en anglais (qui sera traduit l'an prochain chez Belfond) et publie son premier roman « The Vagrants ».
Que « Les Vagabonds » ne soit pas considéré comme un titre « vendeur » passe encore, mais affubler ce roman du titre « Un beau jour de printemps » est un non-sens ou un trait d'humour noir. Rien de printanier dans cette petite ville de l'extrême nord chinois où la population est invitée à assister à l'exécution de Gu Shan, une ex-garde rouge devenue une critique virulente du régime.
Les personnages sont liés entre eux et nous parlent de Gu Shan ; ce sont des petites gens si l'on excepte une de ses camarades de classe, Kai, la star de la radio locale mariée à un responsable politique. L'existence de tous ces gens est bouleversée moins par l'exécution de Gu Shan que par l'écho des manifestations à Pékin autour du « Mur de la démocratie ». En effet en 1979, la Chine s'ouvre au monde après la période maoïste et les affiches apposées sur ce mur, à Pékin, génèrent débats et meetings improvisés qui, après une période de flottement du pouvoir, seront finalement réprimés. Interview.
Bertrand Mialaret : Pourquoi avoir choisi cette période ?
Li Yiyun : Ce sont des années d'ouverture où j'ai mes souvenirs de petite fille. C'est un moyen de revenir sur mon enfance. Le livre, qui s'inspire d'un événement réel, n'a aucun caractère autobiographique et n'est ni un jugement sur la Chine, ni pour moi une manière de tourner la page. Je retourne en Chine et comme mes deux enfants grandissent, cela va devenir plus facile.
La profession de mes parents (physicien nucléaire et enseignante) les ont mis à l'abri de la Révolution Culturelle. Je connais peu l'histoire de mes grands-parents. Du côté de mon père, c'étaient des paysans illettrés de la région de Shanghaï ; du côté maternel, des commerçants qui ont beaucoup souffert pendant la guerre : leur commerce a brûlé et ma grand-mère, violée par des soldats japonais, est devenue folle. La famille de mon mari, elle, est du nord de la Chine.
Un de vos personnages préférés, le père de Gu Shan est Mandchou.
Ma famille et celle de mon mari n'ont pas de liens avec les Mandchous, mais j'ai beaucoup d'admiration pour ce qu'ils ont apporté à la Chine. J'aime bien le père de Gu Shan ; c'est une victime. Peut-être représente-t-il mes propres faiblesses. Comme moi, il est nostalgique et il aime écrire des lettres, beaucoup de lettres. C'est un intellectuel, mais il réfléchit plus qu'il n'agit.
L'analyse des personnages est très fouillée, très réussie…
Pour moi, c'est essentiel, un auteur doit respecter ses personnages et les aimer. Sinon tout devient schématique et c'est parfois le cas avec la littérature chinoise actuelle. Je viens d'écrire un article assez négatif pour cette raison sur le dernier livre de Su Tong « A boat to redemption » qui est pourtant son meilleur livre.
Les lecteurs américains, m'ont reproché la cruauté du roman et l'impuissance des personnages : ils manifestent contre l'exécution de Gu Shan mais acceptent la répression qui va suivre. On me dit qu'il faut avoir le cœur bien accroché ; je prend cela comme un compliment, la littérature n'est pas faite pour les timorés.
Ce qui m'intéresse, ce n'est pas l'événement historique, le « Mur de le Démocratie », ou des personnages héroïques, mais simplement les motivations des gens de l'époque. La cruauté n'est pas une tare ; regardez les nouvelles de Yu Hua, c'est un de mes écrivains préférés en Chine. Voyez aussi Shen Congwen, une autre époque mais une cruauté implicite ; il a arrêté d'écrire après la Révolution mais imaginez ce qu'il aurait pu nous dire à propos de la Chine communiste.
Vous refusez la responsabilité de l'écrivain telle que la voit Lu Xun ?
Je l'apprécie comme écrivain mais il a voulu jouer un rôle comme phare culturel de l'époque. Son œuvre de fiction est parfois proche de la propagande. Mais j'ai beaucoup appris de lui et je lui dois beaucoup, c'est pourquoi, j'ai accepté d'écrire une postface pour la récente traduction en anglais chez Penguin de ses œuvres romanesques.
Je ne cherche pas à être un passeur entre la culture chinoise et les Etats-Unis. J'essaie de dialoguer avec ceux que j'estime mes maîtres. Je mets la barre assez haut, je sais que je n'écrirai jamais comme Tolstoï ou Tchekhov mais si un passage de mon livre est au niveau, alors je suis très heureuse.
C'est une approche un peu égoïste et je fréquente peu les milieux littéraires. Mon mari dit qu'il est beaucoup plus féministe que moi, il exagère mais je suis très neutre sur ce sujet.
Vos projets dans les mois qui viennent ?
Peut-être une publication à Taiwan, mais certainement pas en Chine. Une fois le livre traduit en chinois, je ne sais pas si j'aimerai que mes parents le lisent ! Un deuxième recueil de nouvelles va paraître en Angleterre au mois de septembre ; à mon sens, c'est meilleur que le premier volume, cela se passe surtout en Chine dans les années 1990.
Je travaille sur un autre livre en Chine à la fin du XXe siècle. Contrairement à mon premier roman où les gens ne peuvent quitter leur petite ville, là, la Chine est ouverte mais un petit groupe de personnages voit leur vie transformée par un projet d'assassinat…
► Un beau jour de printemps de Li Yiyun - trad. de l'américain par Françoise Rose - éd. Belfond - 440 p. - 21,50 €.
On a déjà évoqué le talent de la romancière américaine d'origine chinoise Li Yiyun à propos d'un film adapté d'une de ses nouvelles (« Un millier d'années de bonnes prières »). Nous avons pu la rencontrer à Paris à l'occasion de la publication de son roman « Un beau jour de printemps ».
De Pékin à San Francisco, de l'immunologie à la littérature
Née à Pékin, Li Yiyun a 38 ans. Après des études de mathématiques et d'anglais, elle entre à l'université pour étudier l'immunologie. Etudes qu'elle poursuivra aux Etats-Unis à l'université de l'Iowa ; le hasard fait bien les choses car cette université est aussi très connue pour ses cours de création littéraire auxquels elle finit par s'inscrire. Elle collectionne les prix pour un recueil de nouvelles écrites en anglais (qui sera traduit l'an prochain chez Belfond) et publie son premier roman « The Vagrants ».
Que « Les Vagabonds » ne soit pas considéré comme un titre « vendeur » passe encore, mais affubler ce roman du titre « Un beau jour de printemps » est un non-sens ou un trait d'humour noir. Rien de printanier dans cette petite ville de l'extrême nord chinois où la population est invitée à assister à l'exécution de Gu Shan, une ex-garde rouge devenue une critique virulente du régime.
Les personnages sont liés entre eux et nous parlent de Gu Shan ; ce sont des petites gens si l'on excepte une de ses camarades de classe, Kai, la star de la radio locale mariée à un responsable politique. L'existence de tous ces gens est bouleversée moins par l'exécution de Gu Shan que par l'écho des manifestations à Pékin autour du « Mur de la démocratie ». En effet en 1979, la Chine s'ouvre au monde après la période maoïste et les affiches apposées sur ce mur, à Pékin, génèrent débats et meetings improvisés qui, après une période de flottement du pouvoir, seront finalement réprimés. Interview.
Bertrand Mialaret : Pourquoi avoir choisi cette période ?
Li Yiyun : Ce sont des années d'ouverture où j'ai mes souvenirs de petite fille. C'est un moyen de revenir sur mon enfance. Le livre, qui s'inspire d'un événement réel, n'a aucun caractère autobiographique et n'est ni un jugement sur la Chine, ni pour moi une manière de tourner la page. Je retourne en Chine et comme mes deux enfants grandissent, cela va devenir plus facile.
La profession de mes parents (physicien nucléaire et enseignante) les ont mis à l'abri de la Révolution Culturelle. Je connais peu l'histoire de mes grands-parents. Du côté de mon père, c'étaient des paysans illettrés de la région de Shanghaï ; du côté maternel, des commerçants qui ont beaucoup souffert pendant la guerre : leur commerce a brûlé et ma grand-mère, violée par des soldats japonais, est devenue folle. La famille de mon mari, elle, est du nord de la Chine.
Un de vos personnages préférés, le père de Gu Shan est Mandchou.
Ma famille et celle de mon mari n'ont pas de liens avec les Mandchous, mais j'ai beaucoup d'admiration pour ce qu'ils ont apporté à la Chine. J'aime bien le père de Gu Shan ; c'est une victime. Peut-être représente-t-il mes propres faiblesses. Comme moi, il est nostalgique et il aime écrire des lettres, beaucoup de lettres. C'est un intellectuel, mais il réfléchit plus qu'il n'agit.
L'analyse des personnages est très fouillée, très réussie…
Pour moi, c'est essentiel, un auteur doit respecter ses personnages et les aimer. Sinon tout devient schématique et c'est parfois le cas avec la littérature chinoise actuelle. Je viens d'écrire un article assez négatif pour cette raison sur le dernier livre de Su Tong « A boat to redemption » qui est pourtant son meilleur livre.
Les lecteurs américains, m'ont reproché la cruauté du roman et l'impuissance des personnages : ils manifestent contre l'exécution de Gu Shan mais acceptent la répression qui va suivre. On me dit qu'il faut avoir le cœur bien accroché ; je prend cela comme un compliment, la littérature n'est pas faite pour les timorés.
Ce qui m'intéresse, ce n'est pas l'événement historique, le « Mur de le Démocratie », ou des personnages héroïques, mais simplement les motivations des gens de l'époque. La cruauté n'est pas une tare ; regardez les nouvelles de Yu Hua, c'est un de mes écrivains préférés en Chine. Voyez aussi Shen Congwen, une autre époque mais une cruauté implicite ; il a arrêté d'écrire après la Révolution mais imaginez ce qu'il aurait pu nous dire à propos de la Chine communiste.
Vous refusez la responsabilité de l'écrivain telle que la voit Lu Xun ?
Je l'apprécie comme écrivain mais il a voulu jouer un rôle comme phare culturel de l'époque. Son œuvre de fiction est parfois proche de la propagande. Mais j'ai beaucoup appris de lui et je lui dois beaucoup, c'est pourquoi, j'ai accepté d'écrire une postface pour la récente traduction en anglais chez Penguin de ses œuvres romanesques.
Je ne cherche pas à être un passeur entre la culture chinoise et les Etats-Unis. J'essaie de dialoguer avec ceux que j'estime mes maîtres. Je mets la barre assez haut, je sais que je n'écrirai jamais comme Tolstoï ou Tchekhov mais si un passage de mon livre est au niveau, alors je suis très heureuse.
C'est une approche un peu égoïste et je fréquente peu les milieux littéraires. Mon mari dit qu'il est beaucoup plus féministe que moi, il exagère mais je suis très neutre sur ce sujet.
Vos projets dans les mois qui viennent ?
Peut-être une publication à Taiwan, mais certainement pas en Chine. Une fois le livre traduit en chinois, je ne sais pas si j'aimerai que mes parents le lisent ! Un deuxième recueil de nouvelles va paraître en Angleterre au mois de septembre ; à mon sens, c'est meilleur que le premier volume, cela se passe surtout en Chine dans les années 1990.
Je travaille sur un autre livre en Chine à la fin du XXe siècle. Contrairement à mon premier roman où les gens ne peuvent quitter leur petite ville, là, la Chine est ouverte mais un petit groupe de personnages voit leur vie transformée par un projet d'assassinat…
► Un beau jour de printemps de Li Yiyun - trad. de l'américain par Françoise Rose - éd. Belfond - 440 p. - 21,50 €.
Nessun commento:
Posta un commento